JACQUES CHIRAC ET GNASSINGBE EYADEMA : Mon témoignage de l’amitié entre deux monstres de la politique

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C’est une histoire rigoureusement personnelle que le décès de l’ancien président français, Jacques Chirac, me permet de vous livrer aujourd’hui. Nous sommes en avril 2002. Comme tous les deux à quatre mois, je me rends à Lomé pour échanger avec le Sage de l’Afrique. L’exercice se répète depuis longtemps et je suis considéré comme un familier du président. Tous les quinze jours, il lit le bimensuel Afrique Education que se charge de lui faire parvenir son excellence, Tchao Sotou Berre, l’ambassadeur du Togo en France. Ce mois d’avril 2002, comme tous les trimestres, le bimensuel Afrique Education produit un numéro double qui couvre tout le mois.

Deux ou trois jours après mon arrivée, je suis programmé à Lomé II, la résidence privée où le Sage recevait ses invités, pour le rencontrer. Profitant de mon voyage, c’est moi qui lui porte le numéro double d’avril d’Afrique Education dont …Lionel Jospin fait la pleine page de couverture. Candidat à l’élection présidentielle dont le premier tour doit se dérouler ce mois d’avril, Lionel Jospin a pour principal adversaire, Jacques Chirac, croit-on. Le Sage me reçoit dans la grande salle où se tiennent les grandes rencontres ; je suis invité à m’asseoir en face de lui. Un aide de camp lui remet le journal que je sors de ma serviette. Il regarde le numéro qui est sous yeux, de façon étrange, comme s’il n’était pas un lecteur habituel du magazine.

Je comprends très vite son attitude. Il faut dire qu’à force de le rencontrer tous les deux à quatre mois, et à force de l’avoir au téléphone, tous les 15 jours en moyenne, même si la conversation ne va jamais au-delà de deux à trois minutes, j’imagine ce qui se passe dans sa tête.

Je suis en face de lui où après m’avoir souhaité la bienvenue, de façon très aimable, il reste, totalement, muet, le magazine avec Jospin sur la couverture posé devant lui. Contrairement à ses habitudes, il ne demande, cette fois, ni les nouvelles de ma femme, ni celles des enfants. Bref, je sens qu’il y a un problème.

Je prends alors la lourde et difficile décision d’engager la conversation sur le sujet qui (je crois) le dérange. A mes risques et périls. Ce sujet, c’est la présence de Lionel Jospin sur la pleine page de couverture du magazine : « Le Sage (c’est ainsi que je l’appelais), vous (car je le vouvoyais et lui me tutoyait) êtes sans doute étonné de voir le candidat socialiste sur la couverture. En fait, c’est Jacques Chirac qui était prévu, et ce depuis longtemps. J’ai été en contact, pendant près de trois semaines, avec ses équipes de campagne, qui me rassuraient à chaque moment que l’interview se ferait. Mais, au moment où celle-ci devait être programmée, il m’a été répondu que son agenda ne lui permettait plus de me recevoir et qu’on était désolé ».

Je poursuis mon speech sans être coupé par le Sage qui m’écoute attentivement : « Afrique Education étant un magazine panafricain qui est sur la table de travail des chefs d’Etat, je ne pouvais pas laisser passer cet instant de campagne, sans mettre un grand prétendant à la magistrature suprême française sur la couverture du journal. C’est ainsi que, instinctivement, j’ai appelé Guy Labertit, le Monsieur Afrique du parti socialiste, qui faisait partie de l’équipe de campagne de Lionel Jospin pour lui proposer de faire une interview de son candidat. Nous nous connaissons Guy et moi. Sans réfléchir, il m’a, immédiatement, invité à lui adresser un questionnaire à cet effet ».

Le Sage m’écoutait en me donnant l’air de ne pas trop croire à mon histoire. Pour terminer, je lui dis ceci : « Retenez ce que je vous dis ce matin. J’ai mis Jospin sur la couverture, c’est vrai, mais, c’est Jacques Chirac qui va gagner l’élection ».

Sur ce, le Sage et moi passâmes à autre chose. Sur des sujets qui ne fâchent pas. La suite est connue : le candidat Chirac eut un score à la soviétique (82%) après avoir terrassé Jean-Marie Le Pen au deuxième tour auquel Jospin était exclu.

Juin 2002, soit, deux mois, plus tard, le Sage vient en France. Certainement, pour féliciter son très bon ami qui venait de faire trébucher l’ogre socialiste qui l’empêchait de bien dormir à Lomé. Chose rarissime. Dès qu’il pose ses valises dans sa résidence privée du 16e arrondissement, il me téléphone pour me signaler sa présence à Paris (ce que je savais déjà) et me faire savoir qu’on va se voir avant son retour.

Il me reçoit deux ou trois jours, plus tard, dans son bureau du premier étage. Faure, l’actuel président de la République, qui l’a accompagné pendant ce voyage, assiste à l’entretien. Faure est, complètement, perdu quand, à sa manière, et de façon particulière, il commence à évoquer mon séjour en avril à Lomé pendant lequel, après avoir mis Jospin sur la couverture, je lui affirmais que c’est Chirac qui allait gagner l’élection présidentielle. Après l’avoir bien expliqué à Faure qui ne comprenait pas bien son discours du départ (le Sage et moi, nous nous comprenions), il lâche en me regardant : « Il faut que je commence à te consulter » sur des questions politiques.

Je sortis de cet entretien très content (comme d’ailleurs toutes les fois que je le rencontrais), convaincu, cette fois, que j’avais marqué un gros point.

Le Sage, avec son ami de plus de trente ans à l’Elysée (notre photo), savait qu’il allait passer un quinquennat bien tranquille au Togo, les socialistes donneurs de leçons (qu’ils ne savent pas s’appliquer à eux-mêmes) ayant été renvoyés à leurs chères études.

Malheureusement, la mort eut raison de lui, moins de trois ans après cette victoire de Jacques Chirac, un (mauvais) 5 février 2005, en plein ciel tunisien.

« Avec lui disparaît un ami de la France qui était pour moi un ami personnel » ! Voilà le message fort que fit parvenir le président, Jacques Chirac, lors des obsèques du Sage à Lomé. Empêché, il se fit représenter par son conseiller personnel Afrique, Michel de Bonnecorse, tandis que le ministre français des Affaires étrangères, Michel Barnier, conduisait l’imposante délégation française à ces obsèques.

A quelque chose malheur est bon : plus que jamais, le Togo qui met, actuellement, en place, un gigantesque PND (Plan national de développement) sous la férule du président, Faure Gnassingbé, est entre de très bonnes mains.

De là où son très grand ami Jacques Chirac vient de le rejoindre pour l’éternité, il peut être très fier de la façon dont son digne successeur dirige son « Cher Tjogo ».

Paul Tédga
Editorialiste à afriqueeducation.com

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