L’Afrique est-elle incapable de s’unir ?

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Il a fallu 664 pages pour que 9 Africains de coeur arrivent à fournir une réponse à une question difficile et d’actualité. Cette question, à savoir la capacité des Africains à s’unir, s’est posée bien avant les indépendances africaines, elle se pose encore aujourd’hui avec l’évolution de l’Organisation de l’unité africaine vers l’Union africaine avec des péripéties sous-régionales non sans importance. Au-delà de la réponse, il s’agit d’un genre nouveau qui émerge : faire parler (ou plutôt écrire) ceux qui veulent agir, éclairer pour ouvrir le dialogue entre les Africains d’une part et entre Africains et non-Africains, d’autre part. L’objectif est clair : favoriser non pas une intégration mais une interdépendance. D’ailleurs, ce livre paraît dans la nouvelle collection « interdépendance africaine » chez l’Harmattan qui est ouvert à tous les amis de l’introduction d’un peu plus de pragmatisme dans l’union africaine.

Contrairement aux idées reçues, l’Africain est défini comme celui ou celle qui aime l’Afrique et souhaite faire quelque chose pour les héritiers de ce continent, ceux d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Il ne faut donc pas s’étonner que la parole ait été donnée à des poètes comme Jonas Rano qui réfute la thèse selon laquelle tout ce qui vient du nègre ne peut qu’être mauvais, dixit le non-nègre ! Les luttes pour la valorisation de la « Créolitude » apparaissent comme des combats singuliers pour une réunification à terme des Africains, y compris ceux qui ne sont plus sur le continent et qui aspirent à y venir sans arrière-pensées, ni complexes. Jonas Rano verserait volontiers dans un panafricanisme modernisé.

Certains comme Mathieu Mounikou, poète à ses heures et fervent défenseur des principes universels des droits de l’homme et de la femme, se demande finalement si l’Afrique cherche vraiment à s’unir ? Au-delà de la réponse, le constat est sans ambiguïté : on ne peut s’arrêter de lutter pour réveiller les consciences.

Le journaliste, ancien ministre et chroniqueur politique hors-pair d’Afrique Education, Atsutsé Kokouvi Agbobli convient qu’il faut reposer la question en tenant compte des intérêts géopolitiques et géostratégiques de ceux qui ont contribué à faire de l’Afrique ce qu’elle est devenue non sans l’appui des Africains eux-mêmes. En tant qu’historien, il n’hésite pas à remettre en cause certaines thèses révisionnistes selon lesquelles l’invasion et la conquête coloniale ont assuré la paix en Afrique. La brutalité inouïe avec laquelle cette pacification s’est faite n’a d’égale que l’activisme avec lequel les peuples « civilisateurs », s’évertuent à faire croire, avec toute la virulence qui se doit, qu’ils sont d’abord épris d’humanisme avant de satisfaire en priorité leurs besoins économiques et sociaux aux dépens des habitants du continent noir.

Avec une large connaissance de ce qui se dit sur l’Afrique, Philippe Lavodrama, Professeur de son état, s’aperçoit que le discours en provenance de la littérature occidentale n’est pas neutre. Il est profondément afropessimiste et tend à justifier une forme de bonne conscience occidentale qui permet de légitimer et de banaliser le mal sur le sol africain. Il faut donc en prendre conscience et rappeler à ceux qui le véhiculent en toute impunité qu’ils sont observés.

Autre professeur et défenseur des causes africaines, Robert Charvin n’y va pas par quatre chemins. Les ingérences étrangères sont des obstacles à l’unité africaine. Dans les pays francophones, on peut difficilement croire que les ingérences sont l’apanage des anglo-saxons. Là encore, la participation active de certains Africains a permis la pérennisation du système. Néanmoins, un tel système ne peut continuer dans l’état.

Yves Ekoué Amaïzo, économiste et chroniqueur économique à Afrique Education, se demande en stratège averti si les mécontentements épars de la société civile, souvent réprimés sans ménagement, ne sont pas finalement des signes précurseurs d’un sursaut d’une population pauvre à qui l’on octroie le droit de s’exprimer au compte-goutte. Que font alors les intellectuels qui oublient souvent de se faire l’écho de cette population et préfèrent s’adonner aux joies de la « ventrologie », un système bien huilé qui neutralise les besoins alimentaires et les volontés de remise en cause du statu quo? La réaction de la population reste malgré tout imprévisible et se fera à la vitesse de la croissance économique de la société africaine, c’est-à- dire lente.

L’action ne peut être laissée à ceux-là mêmes qui contrôlent et gèrent l’absence d’actions. C’est le message principal de Philippe Engelhard, Professeur et ami des pauvres qui a toujours soutenu l’importance de la contribution de l’économie populaire à la reprise de l’initiative en Afrique. En l’espèce, il affirme qu’il faut néanmoins une révolution copernicienne à l’Africaine.

Pathé Bolé Dieng, autre Professeur croit déceler l’essentiel du problème dans la représentativité ou plutôt l’absence de représentativité acceptable des citoyens africains. Il estime qu’il convient d’assurer l’avènement d’assemblées supranationales africaines tout en s’assurant que ces dernières ne s’occuperont que de ce que les structures représentatives aux échelons inférieurs n’ont pu régler.

Finalement, le coordonnateur de cet ouvrage collectif a surtout cherché à rappeler qu’il n’y aura pas d’unité dans le mimétisme. Il faut faire émerger des repères collectifs, fondements de l’organisation collective au profit de la société civile africaine. Il s’est rapproché d’un des plus illustres sages et dignes fils de l’Afrique, le Professeur Joseph Ki-Zerbo, qui a bien voulu assurer la préface de cet ouvrage qui risque de rentrer dans l’histoire car marquant le tournant de nouvelles organisations des intellectuels amis de l’Afrique au profit de la population africaine. Pourtant, c’est bien la carence du pouvoir politique africain qui sous-tend toute cette démarche. Il ne s’agit donc pas d’une union africaine, mais bien d’une union des Africains.

A ce titre, il est préférable pour Yves Ekoué Amaïzo de parler d’interdépendance africaine, étape indispensable vers l’unité africaine. Sur le plan pratique, il faut aussi rompre avec les vestiges d’une mémoire coloniale qui handicape. Il n’y aura pas d’intégration au niveau des sous-régions, ni au niveau continental sur le plan géographique tant qu’elle ne sera pas précédée dans les faits par la libre circulation des hommes et des femmes qui veulent souffrir pour ce continent. Que l’on soit noir du Pérou, du Brésil ou des Etats-Unis, métis ou mulâtre de la Caraïbe ou d’ailleurs, et quelle que soit la nationalité, il faut réussir là où la globalisation a échoué : permettre aux hommes et femmes de circuler, d’investir et de s’établir librement en Afrique s’ils souhaitent apporter une valeur ajoutée à ce continent. Pour ce faire, l’Afrique doit lever l’intangibilité des frontières et offrir un passeport commun aux Africains d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Promouvoir ce message, c’est inviter les auteurs de ce livre à présenter avec plus de détails leur point de vue partout où les occasions se présentent en Afrique et dans le monde.

Mais alors, l’Afrique est-elle incapable de s’unir ? Bien sûr que non, diront ceux qui sont habitués à regarder l’Afrique de l’extérieur et au travers des prismes grossissants et déformateurs de certains médias payés pour donner bonne conscience. Bien sûr que oui, diront ceux qui, sous le couvert d’un optimisme modéré, ne doutent plus d’une unité au niveau continental. Ces derniers ne peuvent se faire à l’idée que les micro-réussites dans un environnement africain instable favorisant les allégeances diverses ne peuvent s’exporter au niveau supranational. Pourtant, l’unité platonique n’existe pas ! Pour s’en convaincre, il faudra débourser 52 Euros (34.200 f cfa). Cela pose tout le problème de l’édition des écrits à destination d’un public africain. Certains éditeurs vivent du sacrifice des écrivains et ne se soucient guère de s’adapter au pouvoir d’achat des Africains. En contactant la rédaction d’Afrique Education*, les responsables et décideurs amis de l’Afrique pourraient se rendre utile en acceptant de sponsoriser cet ouvrage remarquable par la densité et la qualité du contenu qui a le mérite de dépasser l’éternel conflit à connotation raciste pour s’interroger sur la culture de l’interdépendance comme un mode de civilisation à venir.

Finalement, être incapable de s’unir, c’est organiser collectivement, et de manière prévisible, le suicide collectif de ce continent. Au contraire, s’organiser collectivement, en se jouant des anomies de l’imprévisibilité et des ingérences non-neutres, c’est assurer l’avènement d’une diplomatie nouvelle à savoir : l’influence sans la puissance. L’Afrique, avec sa Nouvelle Initiative Africaine, rebaptisée Nouveau Partenariat pour le Développement Economique sans la société civile, n’est qu’une première version de nouvelles initiatives de l’interdépendance entre le nord et sud, entre l’est et l’ouest. Au cours du 21e siècle, l’Afrique sera-t-elle capable de construire collectivement cette interdépendance émergente ? That is the question ! La réponse sera négative si tout un chacun se cantonne dans un rôle de simple observateur ou de critique, même averti !

								Juliette NJOH

Contacts :

La Rédaction. Jean Paul Tédga (3, rue Carvès
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Yves Ekoué Amaïzo : yeamaizo@hotmail.com ou yves.ekoueamaizo@afriqueeducation.com)

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