ORDRE DES AVOCATS DU CAMEROUN : LE FRUIT EST DEJA POURRI

Date

Le Conseil de l’Ordre des avocats du Cameroun a un nouveau bâtonnier en la personne de Me Justin Ebanga qui a été élu pour deux ans (durée du mandat du conseil de l’Ordre) le lundi 14 janvier 2002, à 1 heure du matin, au terme d’une assemblée générale ouverte le samedi 12 janvier à 16 heures.

						Par A.F. Bounougou Fouda,
						Correspondant à Yaoundé

Me Ebanga Ewodo arrive aux commandes du barreau camerounais sous les accusations de « fraudes électorales et autrezs », accusations lancées par ses adversaires de cette élection. Fondées ou pas, ces accusations sont la preuve que le mandat du nouveau bâtonnier ne sera pas du tout une sinécure. Au contraire !

Pourquoi ne pas le dire ? Me Ebanga Ewodo prend les rênes du corps des avocats camerounais au moment où celui-ci fait l’objet de récriminations de toutes sortes : la moralité des avocats (sur ce plan, c’est toute la grande famille de la justice camerounaise qui est montrée du doigt par l’opinion, à l’exception de quelques-uns de ses membres qui gardent la tête au-dessus de cette gadoue), leur formation et leur entrée dans la profession, ainsi que le tribalisme aveugle qui gangrène ce métier sont autant de mauvaises choses qui sont reprochées aux hommes en noir camerounais. Les mois et les années qui viennent constitueront des défis permanents pour le nouveau conseil de l’Ordre que dirige Me Ebanga Ewodo. Surtout que celles et ceux qui ont perdu le 14 janvier 2002 dernier ne rateront jamais l’occasion d’en rajouter à ces challenges. De quels arguments disposent-ils (où disposeront-ils) pour arriver à leurs fins ?

Qui a trahi le camp de Me Anne Siéwé ?

Il y a d’abord ce que le camp de Me Anne Siéwé appelle « les irrégularités au niveau du corps électoral ». Ces irrégularités tiennent, soutient ce camp, au fait que le nombre des votants a été gonflé dans le but de faire triompher l’équipe de Me Ebanga Ewodo. Me Anne Siéwé et ses partisans disent que les 1.175 électeurs décomptés avant le vote étaient supérieurs au nombre des avocats inscrits au tableau de l’Ordre, soit 1.116 avocats. A ce niveau, les violons des avocats ne s’accordent pas. Quand ceux-si disent que le tableau de l’Ordre compte 1.116 avocats, ceux-là avancent le chiffre de 895. Et quand on s’aperçoit que ces deux chiffres sont donnés par les troupes de Mme Anne Siéwé, des questions se posent donc dans le sérieux qu’il convient d’accorder à tout cela, en même temps que l’opinion s’affermit dans ses convictions que la famille des avocats camerounais a besoin d’un toilettage de fond si elle veut recouvrer son prestige et la confiance des populations.

Les contestations et dénonciations des adversaires de Me Ebanga Ewodo ne manquent pas de pousser à la question suivante : y a-t-il eu trahison dans leurs rangs ? En effet, Me Gilbert Abunaw Enaw, qui a été placé à la tête de l’assemblée générale avec l’onction du camp du nouveau bâtonnier, remplaçant Me Ada Nnengué, faisait partie du camp de Me Siéwé quelques minutes avant sa désignation à ce poste. Curieusement – devons-nous dire -, c’est lui qui a validé le corps électoral contesté et les résultats produits par ledit corps. Il convient aussi de noter qu’il y a eu deux décomptes de voix, le deuxième ayant été exigé et obtenu par les partisans de Me Anne Siéwé qui contestaient les chiffres. Me Ebanga Ewodo se fait donc fort de répondre à tous ceux qui l’interrogent sur la régularité de ce scrutin que « les mécanismes ont été scrupuleusement respectés par rapport à l’orthodoxie en la matière. Le vote et les opérations de dépouillement étaient publics. Les éléments de fraude n’ont pas été démontrés et c’est l’expression de la majorité qui a prévalu ».

Un avocat stagiaire qui a suivi de bout en bout les préparatifs de cette assemblée générale ainsi que ses travaux, nous a confié que les dénégations des perdants sont à mettre sur le compte des réactions de l’arroseur arrosé. « Ce que vous ne savez peut-être pas, vous les journalistes, c’est que les avocats dont le vote a été contesté ne se sont pas retrouvés là par hasard. Depuis des années, le corps vit et s’engraisse de cette situation. La légèreté avec laquelle on a fait entrer beaucoup de gens dans le barreau camerounais n’a d’égales que les visées tribalistes et dominatrices de ceux qui ont encouragé cela et qui, aujourd’hui, sont pris à leur propre piège, la preuve ayant été faite que le barreau n’a pas besoin d’une meute pour faire entendre sa voix ; il lui faut des femmes et des hommes qui ne se prévalent pas de la tribu ou de l’ethnie pour exercer la profession et défendre le métier quand il est menacé. S’ils avaient gagné, je vous assure que le problème du tripatouillage du corps électoral n’aurait jamais été posé ».

Qu’est-ce qui s’est passé pour que Me Gilbert Abunaw Enaw tourne le dos au camp de Me Siéwé au dernier moment ? La même question concerne également le revirement de dernière heure de certains ténors du barreau qui ont pourtant préparé cette assemblée générale aux côtés de Me Anne Siéwé, par exemple, le célèbre Me Black Yondo Mandengué (ancien bâtonnier). En quittant le navire des adversaires de Me Ebanga Ewodo, ils ont affaibli Me Siéwé en faisant tomber toutes ses stratégies dans l’eau. Et c’est ici que se pose le problème du tribalisme dans l’élection de Me Ebanga Ewodo.

Le tribalisme indexé et combattu

Ceux qui vivent au quotidien les affaires du barreau camerounais font été du tribalisme qui le secoue. Certains disent qu’avec la presse, il est le corps socio-professionnel le plus tribalisé et tribaliste du Cameroun. C’est donc pour combattre ce fléau que le « Rainbow » (Arc-en-ciel) a vu le jour au sein de la famille des avocats. Il ‘agit d’une alliance entre tous les avocats desd eux sexes de toutes les tribus. Me Ebanga Ewodo doit ainsi son élection à la tête du conseil de l’Ordre à ce « Rainbow » qui a préparé l’affaire sous la supervision de Me Akéré Muna, lui qui avait déjà bouclé deux mandats et ne pouvait plus se représenter. Créé pour combattre le tribalisme au sein du barreau camerounais, on peut dire que l’ »Arc-en-ciel » remplit sa fonction, en attendant de le voir agir dans d’autres dossiers. Originaire du Centre, donc beti, plus exactement éton, Me Ebanga Ewodo ne pouvait pas triompher si des confrères originaires de l’Ouest, du Nord-Ouest, du Sud-Ouest et du Littoral ne l’avaient pas plébiscité. Avant la création du « Rainbow », cela était inimaginable, non pas parce que les compétences de Me Ebanga Ewodo sont indiscutables, mais tout simplement parce que le mot d’ordre de ne pas le voter aurait été donné, son seul tort étant qu’il est du Centre.

Il y a donc eu une sorte d’aggiornamento au sein du barreau, Me Akéré Muna et une majorité de ses confrères ayant compris que la tribalisation du corps les fragilise puisqu’elle est régulièrement exploitée contre eux chaque fois qu’un problème les oppose au pouvoir. Un barreau cloisonné en ethnies est facilement manipulable, ses revendications étant toujours taxées de man½uvres policitiennes visant à déstabiliser le régime au profit de l’opposition, même quand le problème est d’ordre strictement professionnel. Ceux qui avaient fait entrer leurs frères de tribu dans le corps par effraction ont été pris de vitesse par le « Rainbow ». Il reste maintenant que cet « Arc-en-ciel » aille plus loin que placer un non originaire du grand Ouest à la tête du barreau, notamment, en tournant le dos à un corporatisme chauvin qui n’honore pas du tout les avocats.

Combattre l’immoralité dans le barreau

Avec l’emprisonnement d’un bâtonnier il y a quelques années (Me Patrice Monthé) pour des malversations financières, les Camerounais ont commencé à accorder aux avocats la même considération qu’ils accordent aux feymen qui écument le pays. Au point qu’aujourd’hui, le fait d’être un homme en noir ne suffit plus pour que l’on vous fasse d’emblée confiance. Me Ebanga Ewodo a, dès ce 14 janvier 2002, proposé à ses confrères « un réajustement dans le fonctionnement des organes de l’Ordre. Car, souligne-t-il, il est bien entendu qu’à défaut d’une bonne organisation interne et d’un fonctionnement rigoureusement conforme aux normes d’une telle organisation, notre bureau sera bien incapable de prendre en compte la gestion rationnelle des problèmes (?) Le réajustement attendu et souhaité dans le fonctionnement des organes de l’Ordre concerne l’assemblée générale, le conseil de l’Ordre et le bâtonnat ».

Il ressort de ce qui précède qu’une bonne organisation suppose automatiquement la maîtrise de tous les mécanismes du corps. Les problèmes relevant de la moralité rampante de certains avocats, les procédures d’accès contrôlé dans la profession et les questions de formation trouveront facilement des solutions, à en croire Me Ebanga Ewodo. L’homme voit d’ailleurs plus loin puisqu’il interpelle les pouvoirs exécutif et législatif en ces termes : « il s’agit d’aboutir à une modification de notre loi fondamentale afin que les avocats soient les seuls à même de trier par voie de concours ceux des citoyens qui méritent d’accéder à la profession ». Ce combat commence à l’intérieur par un encadrement serré des effectifs, encadrement qui passe par l’épineux problèmes de la formation. Le nouveau bâtonnier pense qu’il faut innover « afin que les conférences de stage ne se confinent plus à l’enseignement exclusif de la déontologie et des règles professionnelles. Elles doivent se transformer en de véritables ateliers de travail où seront passés en revue tous les aspects essentiels de la pratique judiciaire, toute chose permettant tant l’examen des procédures les plus usuelles que la réflexion sur les sujets de droit les plus récurrents, l’art oratoire et la rédaction des actes? »

Car, à la vérité, certains avocats font tout simplement honte à cette profession quand on les entend s’exprimer ; quand à leurs écrits, ils font dire à leurs pairs que ces ateliers seront les bienvenus. Quand on voit certains de ces avocats se retrouver dans les juteux dossiers de l’Etat, il est tentant de poser la question de savoir si on leur donne ces dossiers parce qu’ils sont vraiment compétents ou tout simplement pour les besoins de partage des honoraires avec ceux qui décident d’attribuer ces dossiers ? Il y a donc du pain sur la planche pour le nouveau conseil de l’Ordre. C’est à lui de démontrer de façon convaincante que les avocats n’ont pas besoin de fonctionner dans un barreau divisé en autant de provinces que compte le Cameroun ou en régions regroupant deux à trois provinces que compte le Cameroun ou en régions regroupant deux à trois provinces. L’idée n’est pas d’aujourd’hui, et le prétexte selon lequel le gouvernement ne la voit pas d’un bon ½il parce que cela ne lui permettrait pas de « contrôler cette corporation sensible », ne tient pas le débat. Eclaté ou pas, la force du barreau réside dans son unité ; dans la conviction de ses membres à appartenir à un corps au service du citoyen. Tant que cette unité et cette conviction du barreau ne sont encore que de façade, le gouvernement peut le contrôler comme il l’entend, fractionné ou entier.

Maintenant, sur le plan interne, la gestion gagnerait à ne plus faire l’objet d’accusations d’opacité comme l’a décrié Me Ada Nnengué au moment de rendre son tablier en tant que président de l’assemblée générale sortante. A la vérité, le nouveau bâtonnier et ses troupes vont devoir déplacer les montagnes : restructurer la maison en mettant en place une organisation fluide, et redorer le blason auprès des Camerounais.

André-Fernand Bounougou Fouda

A Yaoundé

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