Lors de sa rencontre avec les chefs d’Etat de la Guinée Bissau, de la Mauritanie, du Gabon, du Sénégal et du Liberia, le président américain, Donald Trump, agréablement, surpris par la maîtrise parfaite de l’anglais par le président libérien, Joseph Boakai, lui a demandé où il avait appris cette langue. Stupéfait, Boakai lui a répondu que l’anglais était tout simplement la langue officielle de son pays. Cette scène, aussi banale qu’elle puisse paraître, révèle une forme d’ignorance nourrie par une vision stéréotypée de l’Afrique — et plus profondément encore, un rapport déséquilibré entre le Nord et le Sud. Cette situation est un symptôme récurrent de l’arrogance occidentale teintée d’ignorance culturelle et historique.
1. L’ignorance
Ce qui choque dans l’échange entre Trump et Boakai, ce n’est pas tant la surprise exprimée que l’implicite idéologique qu’elle porte : un président d’un pays africain maîtrisant l’anglais serait une anomalie. Cela montre à quel point certains dirigeants occidentaux ignorent tout d’une histoire pourtant entremêlée à la leur.
Le Liberia, pour mémoire, fut fondé au XIXe siècle par des esclaves affranchis venus des Etats-Unis. L’anglais y est donc la langue officielle depuis sa création. Ce fait historique, simple et accessible, est pourtant méconnu de personnalités censées exercer les plus hautes fonctions. Ce déficit de culture générale révèle un désintérêt profond pour l’histoire des autres, une forme de nombrilisme intellectuel largement entretenu par des décennies de domination culturelle.

Cette ignorance, loin d’être neutre, alimente des préjugés que l’on croyait disparus : l’image d’une Afrique sauvage, analphabète, sans infrastructure, une Afrique où les populations vivraient encore dans les arbres. Cette vision réductrice et fausse n’est pas le fruit du hasard, mais bien, le produit d’un imaginaire colonial encore vivace dans les mentalités occidentales.
2. Les stéréotypes raciaux comme héritage du colonialisme
Les préjugés évoqués — Africains vivant dans les arbres, n’ayant jamais vu d’ordinateur, ou vivant sans eau courante ni électricité — sont non seulement erronés, mais profondément, humiliants. Ils traduisent une hiérarchie raciale implicite selon laquelle le Blanc incarnerait le savoir, la modernité et la civilisation, tandis que le Noir serait cantonné à la sauvagerie, à l’ignorance et au besoin d’être « sauvé ».
Ce regard condescendant découle directement de l’entreprise coloniale. Pendant des siècles, l’Europe a justifié l’esclavage et la colonisation en prétendant « civiliser » des peuples « inférieurs ». Aujourd’hui encore, cette logique persiste dans certains discours politiques ou médiatiques, où l’aide à l’Afrique est présentée non comme un partenariat d’égal à égal, mais, comme une faveur charitable.
Dans ce contexte, le moindre signe de compétence venant d’un Africain — parler un bon anglais, utiliser un ordinateur, diriger une nation — est perçu comme surprenant, presque suspect. Cette réaction n’est pas seulement révélatrice d’une ignorance individuelle, mais aussi, d’un système de pensée racialisé profondément ancré dans la culture occidentale.
3. L’humiliation diplomatique
Un autre épisode, tout aussi, révélateur, est celui de cinq chefs d’Etat africains photographiés debout autour de Trump, assis, dans le Bureau Ovale. Ce détail protocolaire a indigné de nombreux Africains pour qui cette scène humiliante symbolise la soumission des dirigeants du continent face à l’autorité occidentale.
Dans la symbolique diplomatique, chaque geste compte. Etre assis, c’est dominer, c’est recevoir. Etre debout, c’est attendre, c’est demander. L’image renvoie à une hiérarchie implicite entre les puissants et les subalternes. Cette scène est l’expression visuelle de rapports de force déséquilibrés.
Pour éviter de reproduire ce genre de situations, il appartient aux dirigeants africains de faire preuve de fermeté. Il est temps d’inverser les rôles : si un président américain ou européen souhaite discuter affaires avec l’Afrique, qu’il se déplace sur le continent. Pourquoi faut-il toujours que ce soit les Africains qui se déplacent ? Le respect passe aussi par l’équité protocolaire.
4. Repenser les relations Nord-Sud
Face à ces humiliations répétées, il devient urgent de repenser les relations entre l’Occident et l’Afrique. Cela implique une révolution mentale, aussi bien, du côté des anciennes puissances coloniales que de celui des Etats africains. L’Afrique n’a pas à tendre la main pour quémander une reconnaissance. Elle doit s’imposer comme un partenaire à part entière, fort de son histoire, de ses ressources et de sa jeunesse.

Pour cela, il est essentiel de casser les stéréotypes, d’affirmer une identité culturelle forte et de promouvoir une diplomatie de dignité. Les médias africains ont un rôle crucial à jouer dans cette reconquête symbolique, tout comme les élites intellectuelles et politiques du continent.
De leur côté, les pays occidentaux doivent entamer une véritable introspection. Il est temps de remettre en question les récits dominants, de revaloriser la pluralité des cultures et d’apprendre à écouter sans condescendance. L’ignorance ne doit plus être excusée, surtout, lorsqu’elle vient de ceux qui prétendent diriger le monde.
Conclusion
L’échange entre Donald Trump et Joseph Boakai, ainsi que, l’image des chefs d’Etat africains debout autour du président américain, sont bien plus que des anecdotes. Ils incarnent un déséquilibre historique entre l’Occident et l’Afrique, nourri d’ignorance, de préjugés raciaux et de relents de colonialisme. Il est temps que l’Afrique se fasse respecter par la fermeté, la connaissance de son histoire et la revendication de son rôle dans le monde contemporain.
Jean-Claude DJEREKE
Est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).