COTE D’IVOIRE : Abdou Touré un sociologue de l’Afrique d’en bas

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C’est avec une certaine émotion que j’écris ces lignes pour rendre hommage à Abdou Touré, un homme dont le parcours et l’œuvre ont profondément marqué ma vision de la sociologie et, plus largement, de l’Afrique contemporaine. Abdou Touré nous a quittés alors qu’il exerçait encore en tant qu’ambassadeur au Burkina Faso, un poste qu’il occupait avec dignité et engagement.

Bien que je ne l’aie jamais rencontré personnellement, son œuvre et son parcours m’ont toujours inspiré et incité à embrasser la discipline sociologique.

L’un des legs les plus précieux d’Abdou Touré (notre photo) demeure sans conteste son livre, « Les petits métiers à Abidjan : L’imagination au secours de la conjoncture », publié en 1985, aux éditions Karthala. Ce livre, fondamental à mes yeux, m’a ouvert les portes d’un univers souvent méconnu et sous-estimé : Celui des acteurs du secteur informel en Afrique. Par un regard lucide et empathique, Abdou Touré y décrit avec précision et humanité l’ingéniosité, la créativité et la résilience des hommes et des femmes qui, chaque jour, doivent imaginer des stratégies pour survivre dans une économie marquée par la précarité et l’exclusion.

La pertinence de cette œuvre ne se limite pas à une simple description ethnographique. Elle porte un message fort : Celui de la reconnaissance de cette « Afrique d’en bas », une expression chère au sociologue, Jean-Marc Ela, lui aussi, disparu trop tôt. Cette Afrique-là est souvent marginalisée, méprisée, voire, ignorée par les pouvoirs publics, qui ne la considèrent pas toujours comme une priorité. Pourtant, c’est elle qui fait preuve d’une capacité remarquable à s’adapter, à inventer et à persévérer face à des conditions difficiles. Cette Afrique-là, par sa vitalité et son dynamisme, incarne une forme de résilience exemplaire.

Abdou Touré a su, à travers son travail, restituer cette réalité avec une justesse rare, offrant ainsi une contre-narrative aux discours dominants qui tendent à dévaloriser le secteur informel. Son livre reste un témoignage précieux sur la manière dont les populations urbaines, à Abidjan, comme ailleurs en Afrique, réinventent sans cesse leurs modes de vie et d’activité pour tenir le coup.

Au-delà de son œuvre académique, Abdou Touré a, également, eu une carrière diplomatique notable. Il a exercé en tant qu’ambassadeur au Burkina Faso. Cette double casquette, académique et diplomatique, témoigne d’un engagement profond envers son pays et le continent africain, dans ses multiples dimensions.

Sur le plan politique, il appartenait au Rassemblement des républicains (RDR). Cette appartenance ne m’a jamais gêné, car je crois fermement que chacun est libre de choisir le leader ou le parti qu’il souhaite suivre. Le respect que je porte à Abdou Touré dépasse largement les clivages partisans. Il s’agit de saluer la mémoire d’un homme qui a consacré une partie de sa vie à mieux comprendre et valoriser les réalités africaines, tout en servant son pays avec loyauté.

Abdou Touré laisse derrière lui une œuvre intellectuelle riche. Par son livre, il a contribué à faire reconnaître la dignité des populations marginalisées et à mettre en lumière leur inventivité face aux défis économiques et sociaux. Par sa carrière diplomatique, il a incarné la fidélité à son pays et la volonté d’œuvrer pour un avenir meilleur.

Que son souvenir inspire ceux qui, comme moi, aspirent à comprendre le continent africain dans sa complexité, en valorisant ses forces plutôt que ses faiblesses. 

Jean-Claude DJEREKE

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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