NIGERIA : Avec l’affaiblissement de Boko Haram, que faire des 20.000 combattants de l’auto-défense ?

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Fatigués d’attendre une réponse militaire qui n’arrivait pas, des milliers de jeunes hommes du Nord-Est du Nigeria ont décidé de prendre les armes en 2013 pour défendre leur ville et leur famille contre Boko Haram, groupe djihadiste qui sème la terreur dans la région.

Mais, maintenant que l’armée s’est réorganisée sous l’impulsion de la présidence de Muhammadu Buhari et que le conflit a perdu en intensité, que vont devenir ces 20.000 jeunes, en grande majorité sans emploi, qui savent, désormais, manier les armes et maîtrisent l’art de la guerre ?

A l’apogée du conflit, ces hommes armés de lances, de haches ou de vieux fusils étaient perçus comme des sauveurs dans la capitale de l’Etat du Borno. « Sans les CJTF (Civilian Joint Task Force), Maiduguri serait tombée entre les mains de Boko Haram depuis bien longtemps », raconte Saad Abubakar, chef coutumier de la région.

Rapidement intégrés en appui de l’armée, puis, sponsorisés par le gouvernement local, ces 20.000 miliciens ont été déployés sur les check-points et arrêtent -ou combattent- directement ceux qu’ils soupçonnent d’appartenir à Boko Haram avant de les remettre aux militaires.

« Ce sont de jeunes gens déterminés et sans peur, qui connaissent les membres du groupe (islamiste) et le terrain comme personne », poursuit M. Abubakar.

Dans une région particulièrement difficile d’accès, où la guerre se mène à huis-clos, beaucoup ont déjà été impliqués dans des abus en matière de droit de l’homme, sans pour autant avoir été inculpés.
« Nous nous préoccupons de ce qu’il va arriver après la guerre », reconnaît le coordinateur des CJTF, Abba Aji Kalli.

« Certains miliciens pourraient se tourner vers la criminalité. Les autorités doivent y réfléchir à deux fois, avant qu’il ne soit trop tard », ajoute l’ancien comptable reconverti, lui aussi, en combattant.

Les faibles salaires versés aux miliciens arrivent souvent en retard, lorsqu’ils arrivent, et dans certaines villes du Borno, ils ont déjà déserté leur poste ou dépendent de la générosité des habitants.
Le conflit, qui a pris le tournant d’une guerre civile plus que d’une guerre religieuse à la formation de ces milices, a détruit les sources de revenus de millions de pêcheurs, petits agriculteurs ou commerçants. Les Nations-Unies estiment que 2,6 millions de personnes ont dû fuir leur foyer depuis le début de l’insurrection en 2009.

Les hommes en capacité de combattre se sont, donc, tournés vers la guerre. Umar Usma, 32 ans, était vendeur d’épices avant d’être formé au maniement des armes. Il n’avait plus aucun moyen de subvenir aux besoins de sa famille.

« Si ça continue comme ça, on va voir l’histoire des Bakassi Boys se répéter », souffle-t-il.

Les Bakassi Boys, une milice civile née dans la fin des années 1990 dans la région pétrolière du Sud-Est du Nigeria, s’était formée pour lutter contre les criminels et voleurs dans la région.
Les hommes politiques locaux les ont sollicités pendant la campagne électorale de 2003, les payant pour assurer leur sécurité et parfois décourager leurs opposants. Mais, une fois la campagne terminée, les jeunes de Bakassi sont devenus incontrôlables, s’enrichissant grâce aux raffineries illégales de pétrole ou aux kidnappings.

A Maiduguri, aussi, on reproche à ces groupes d’avoir alimenté les rangs de Boko Haram. L’ECOMOG (petite milice qui avait pris le nom d’une mission de la paix de la guerre civile au Liberia), intimidait les électeurs en période électorale et, déçus par leurs anciens « sponsors » politiques, beaucoup se sont tournés vers la secte islamiste rigoriste de Mohamed Yusuf.

Les armes, le pouvoir et l’appât de l’argent sont des ingrédients particulièrement dangereux, surtout, dans une région comme le Nord-Est du Nigeria, où l’Etat n’a pas exercé son autorité depuis des années.

L’armée, souvent, dénoncée pour l’usage excessif de la force, a tenté d’encadrer, au mieux, les 20.000 « volontaires » des CJTF.
Mais, le recrutement des candidats n’est pas fiable et, pour Modu Grema, l’un d’eux, il est très facile pour Boko Haram d’infiltrer leurs rangs.

En février dernier, d’ailleurs, Lawan Jaafar, leur commandant général, a été arrêté, accusé d’entretenir des liens avec les insurgés, aux côtés de deux autres politiciens locaux.
Pour M. Kalli, le coordinateur des milices du Borno, des sanctions « appropriées » sont engagées. « Nous ne faisons pas la loi », assure-t-il. En janvier dernier, l’un de ses hommes a été condamné à mort pour avoir tué un civil.

Kashim Shettima, gouverneur de l’Etat, a, toujours, reconnu le danger pour la sécurité que peuvent représenter ces hommes tant qu’ils n’auront pas d’emploi.
Quelque 1.700 d’entre eux ont pu bénéficier de formations professionnelles, en échange d’une rétribution de 15.000 nairas mensuels (42 euros).

Les autorités envisagent, également, de recruter dans leurs rangs 1.000 pompiers et 500 employés pour régler la circulation. Environ, 500 ont, déjà, rejoint l’armée et 30 les services de renseignement.
M. Umar, lui-même, milicien, reste, toutefois, sceptique. « Sans le vouloir, le gouvernement est en train de faire naître le monstre qui viendra nous hanter, une fois qu’on en aura fini avec Boko Haram ».

Avec AFP

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