SOUVERAINETE, DEMOCRATIE, BONNE GOUVERNANCE : L’Afrique malgré tout n’est pas mal partie

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Il fut un temps où les nouvelles provenant de l’Afrique étaient mauvaises. Etaient alors décriés les conflits armés, le coûteux sacre de Jean-Bedel Bokassa pendant que ses compatriotes de Bangui et d’autres villes n’avaient pas le strict minimum, la corruption des juges et des magistrats, le détournement et le gaspillage des deniers publics par les chefs d’Etat et leurs courtisans, le délabrement des écoles, hôpitaux et routes, l’incapacité des pays à produire de quoi nourrir les populations, l’insalubrité des villes, la violation des droits humains, la persécution des opposants et des journalistes. Le tableau était si sombre que certains auteurs en avaient conclu que l’Afrique noire était bloquée (Samir Amin) ou mal partie (René Dumont) pendant que d’autres se demandaient si elle était maudite (Moussa Konaté) ou si elle allait mourir (Kä Mana).

A partir des années 2000, quelques pays colonisés par la Grande-Bretagne commencèrent à sortir la tête de l’eau, affichant de bons résultats en matière de lutte contre la corruption, de respect des droits de la personne humaine et de bonne gouvernance. Le Ghana, le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie et le Rwanda, pour ne citer que ceux-là, étaient non seulement redevenus fréquentables mais présentés comme des modèles sur la route du “développement”. Ces pays, plutôt que de s’endormir sur leurs lauriers, continuèrent à travailler dur, à batailler fort et à se serrer la ceinture pour réduire la pauvreté, se moderniser et progresser.

Pendant ce temps, l’Afrique francophone s’illustrait par des pratiques bizarres : coups d’état, tripatouillage des constitutions, successions politiques de père en fils au Gabon, au Togo, en République démocratique du Congo, mascarades électorales, etc. Le pire se produisit en Côte d’Ivoire en 2011 lorsque la France de Nicolas Sarkozy, sans vergogne, s’ingéra dans un contentieux électoral, soutenant ouvertement un candidat et bombardant la résidence présidentielle occupée par l’autre candidat. Comme si tout cela n’était pas suffisant, des terroristes, profitant de l’assassinat de Mouammar Kadhafi et de la destruction de l’Etat libyen, s’installèrent dans certains pays (Burkina Faso, Niger, Mali, Cameroun, Nigeria et Tchad), obligeant les populations à tout abandonner et à s’installer ailleurs.

L’Afrique francophone réalisa des avancées entre 2010 et 2021. Par exemple, les peuples burkinabè (en 2014) et congolais (en 2018) triomphèrent de Blaise Compaoré et de Joseph Kabila qui voulaient modifier la constitution de leurs pays pour s’éterniser au pouvoir. Le 18 août 2020, après plusieurs manifestations populaires dans le pays, les soldats maliens renversèrent Ibrahim Boubacar Keïta incapable d’assurer la sécurité du pays et “considéré par de nombreux Maliens comme personnifiant la corruption et le népotisme du régime”. Le 2 avril 2021, les Nigériens assistèrent à une passation de pouvoir pacifique entre Mahamadou Issoufou, le président sortant, et Mohamed Bazoum, le nouveau. Avant la fin de ses deux mandats, Issoufou avait inauguré, le 2 août 2016, un hôpital ultra moderne à Niamey. Financé par la Chine, cet hôpital de référence devrait “assurer l’accès aux soins de santé de qualité à toute la population du Niger et même de la sous-région, mais aussi et surtout, réduire le nombre des évacuations sanitaires qui ont un coût considérable sur le budget de l’Etat nigérien”. Au Rwanda, Paul Kagame, dont on peut critiquer les interventions en RDC, ne se contente pas de veiller à la propreté des villes et quartiers. Depuis 2015, il héberge l’African Leadership Universitylancée par le Ghanéen, Fred Swaniker, pour former les futurs managers et leaders africains. Aidé militairement par la Russie et le Rwanda, le président, Faustin-Archange Touadéra, est en train de “chasser” la France de la Centrafrique (sur notre photo, Faustin Archange Touadéra accueille son frère Paul Kagame à l’aéroport de Bangui Mpoko le 15 octobre 2019).

A ces bonnes performances, on pourrait ajouter le fait que la Covid-19 a fait moins de victimes en Afrique qu’ailleurs (Europe et Etats-Unis) et les 15 mois de prison ferme que la Cour constitutionnelle sud-africaine infligea à l’ancien président, Jacob Zuma, le 29 juin 2021, pour “pillage de l’argent public et outrage à l’état de droit”. Tout ceci montre que l’Afrique n’est pas demeurée le continent de tous les malheurs et échecs. Au regard des réussites enregistrées au cours de ces 20 dernières années, on ne peut pas dire que les lignes n’y ont jamais bougé. Bref, je ne suis pas pessimiste pour notre continent. Au contraire, j’ai foi qu’il est sur la bonne voie et qu’il finira par s’en sortir.

Le chemin à parcourir est toutefois encore long pour que les pays africains atteignent le niveau du Japon, de la Chine, de la Malaisie ou de Singapour. La démocratie est dans toutes les conversations en Côte d’Ivoire aujourd’hui. L’opposition pense à juste titre que notre système démocratique a beaucoup reculé sous le régime Ouattara qui a suffisamment prouvé qu’il est allergique à la discussion et aux opinions contraires. A écouter les opposants, on a l’impression que restaurer la démocratie est une priorité et une urgence. La démocratie, dont le multipartisme n’est qu’une composante, est incontestablement une bonne chose parce qu’elle “assure la participation des citoyens aux choix politiques et garantit aux gouvernés la possibilité de choisir et de contrôler leurs gouvernants, ou de les remplacer de manière pacifique lorsque cela s’avère opportun” (Jean-Paul II, ‘Centesimus annus’, lettre encyclique, 1er mai 1991, n. 46) mais, depuis 1990, le parlement contrôle-t-il vraiment l’action gouvernementale dans notre pays ? N’est-il pas une simple caisse de résonance qui se limite à applaudir et à adopter les lois de l’exécutif ? Le président de la République a-t-il toujours tenu compte des desiderata du peuple qui l’a mis au pouvoir ? N’a-t-il pas tendance à faire ce qu’il veut comme, par exemple, autoriser en 2005 la candidature de Ouattara à l’élection présidentielle ? Les électeurs peuvent-ils choisir celui qui va diriger le pays pendant les 5 prochaines années sans que les autorités françaises ne disent si elles sont d’accord ou non avec leur choix ? Que signifie la démocratie si les décisions du Conseil constitutionnel ne sont plus sans appel ? L’intervention de Sarkozy en 2010-2011 est encore dans toutes les mémoires. Pour installer son poulain dans le fauteuil présidentiel, l’ancien président français n’avait pas hésité à intimer à Youssouf Bakayoko l’ordre de proclamer les résultats provisoires du scrutin avant de demander aux soldats français de Licorne de faire feu sur la résidence présidentielle.

Si je reviens sur ces faits, c’est uniquement pour faire comprendre que notre préoccupation première ne peut pas être le retour de la démocratie mais la conquête de notre souveraineté car la démocratie ne peut s’épanouir que là où les gens sont maîtres de leur destin, quand ils peuvent choisir librement leurs dirigeants et mettre en place les institutions dont ils ont besoin. Pour dire les choses autrement, nous devons nous garder de mettre la charrue avant les bœufs car notre obstacle numéro un, la contradiction principale, à mon avis, ce n’est pas le déficit démocratique dont souffre notre pays depuis avril 2011 mais la Françafrique dont les 3 piliers sont le F CFA, les bases militaires françaises et l’ingérence de la France dans nos affaires internes. Ce sont d’abord ces trois instruments de la domination française qu’il convient de faire disparaître. Grâce aux réseaux sociaux, la jeunesse africaine commence à comprendre le jeu malsain et le rôle néfaste de l’ex-puissance coloniale. Elle réalise en même temps que ceux qui ont succédé aux “pères des indépendances” n’ont pas fait mieux en Afrique francophone et que sa mission n’est plus de mener les guerres des politiciens qui ne demandent jamais son avis avant de se retrouver pour manger, boire et rire mais de prendre ses responsabilités. Elle se souvient qu’aucun pays n’est condamné à demeurer dans la médiocrité et que Rawlings et Sankara n’avaient pas attendu d’avoir 40 ans pour se lever et mettre de l’ordre dans leurs pays respectifs, mettant ainsi fin aux souffrances et à l’humiliation du petit peuple. J’ai foi qu’émergeront des jeunes, intègres, souverainistes et déterminés, qui feront une politique qui respecte la vie humaine et se soucie d’apporter un peu de bonheur au peuple.

Jean-Claude DJEREKE

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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