Un certain nombre d’Ivoiriens souhaiteraient que Tidjane Thiam soit le prochain président de la République, parce qu’il aurait étudié à Polytechnique, parce qu’il aurait dirigé de prestigieuses banques dont le Crédit Suisse, parce qu’il aurait beaucoup de relations à l’extérieur, parce que lui au moins, aurait un parent ivoirien et tutti quanti.

Il est vrai que Thiam a fait Polytechnique de Paris mais est-il le seul Africain à avoir fréquenté cette école ? Le Burkinabè, Philippe Ouédraogo, et plusieurs Camerounais y ont été avant lui et ils n’étaient pas forcément fils de ministres ou petits-fils de présidents car l’extraordinaire, à mon avis, c’est quand un fils de pauvre et d’analphabète est admis à la Sorbonne, Centrale, Mines, London School of Economics, Yale ou Harvard. Celui-là a plus de mérite que des gens qui étaient accompagnés à l’école en voiture et qui avaient des domestiques et des répétiteurs à leur service. Qu’on ne cherche donc pas à nous impressionner avec le fait que Thiam est un polytechnicien. Si des Ivoiriens de familles modestes avaient bénéficié des mêmes moyens et facilités que lui, ils auraient peut-être fait autant que lui, voire, mieux que lui (sur notre photo, le couple Thiam reçu par le président Bédié le 9 août à Daoukro).

Thiam a quitté le pays après le coup d’état du 24 décembre 1999 contre Henri Konan Bédié. Sa vie était-elle plus menacée que celle des Emile Constant Bombet et Maurice Kakou Guikahué qui, eux, n’ont abandonné ni le PDCI ni le pays ? Ne fait-il pas partie de ces Ivoiriens bizarres qui n’aiment la Côte d’Ivoire que quand elle est en paix et qu’on peut y faire fortune ? Dans les pays européens qui l’ont accueilli et qui respectent la liberté d’expression, le fils d’Amadou Thiam s’est-il donné la peine de se prononcer quand notre pays a connu des moments difficiles ? A-t-il réagi lorsque l’armée française bombarda et détruisit la résidence présidentielle construite par Houphouët ? Comment a-t-il manifesté sa solidarité avec les Ivoiriens restés sur place ? A-t-il une fois utilisé son fameux carnet d’adresses et un peu de sa fortune pour réhabiliter les grandes écoles de Yamoussoukro ?

Houphouët a dit un jour qu’on pouvait servir à tous les postes, pourvu qu’on y mette tout son cœur. Thiam ne peut-il pas servir les Ivoiriens autrement que comme président de la République ? Qu’est-ce qui l’empêche, par exemple, de créer une banque comme Jean Kacou Diagou l’a fait et de nous montrer comment on la dirige ?

Que pense-t-il du F CFA, du 43e BIMA de Port-Bouët, de la lutte menée par les Maliens et Centrafricains pour se libérer de la France arrogante et criminelle, etc. ?

Enfin, être banquier ou économiste ne signifie pas nécessairement qu’on est capable de diriger un pays et de défendre les intérêts des habitants de ce pays. On le voit bien avec Ouattara qui a surendetté la Côte d’Ivoire et s’est spécialisé dans l’attribution des marchés de gré à gré aux entreprises françaises, marocaines et burkinabè. Le pire, il gouverne avec sa famille, méprise les partis d’opposition, qui sont exclus des médias publics, viole régulièrement la Constitution et n’obéit qu’aux ordres de Paris. Quelle garantie avons-nous que Thiam ne fera pas pareil ? L’un des reproches faits souvent à Ouattara, c’est qu’il ne connaît pas la Côte d’Ivoire alors que Laurent Gbagbo avait visité 90 % des villes, villages et hameaux ivoiriens avant de briguer la magistrature suprême. Quel est le lien de Thiam avec la Côte d’Ivoire profonde ? Les Ivoiriens nés en 1999, année où il quittait Abidjan, pourront-ils voter pour lui en 2025 si la France persiste à soutenir sa candidature ? On croyait que les autorités françaises avaient appris et retenu la leçon du cuisant échec de Lionel Zinsou à la présidentielle béninoise de février 2016. Hélas, force est de constater qu’il n’en est rien parce que “la bêtise insiste toujours” (Albert Camus).

Jean-Claude DJEREKE

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).